Super Maman

Témoignage émouvant d’une maman

Aujourd’hui, je partage avec vous ce texte écrit par une maman qui m’a gentiment autorisée à le publier. Bouleversante, elle est à mon sens un bel exemple de ce que peut faire une maman pour son enfant et son bien-être. Je vous laisse le lire car il se passe de commentaires.

On voulait te murer, t’emmurer dans tes murs.
T’interdire d’être.
J’étais forcément folle, celle qui croit en tout ce qui n’est pas, et ne croit pas en ce qui est.
Ce qui est, c’est que tu étais fou, forcément. Qu’aurais-tu pu être d’autre.
Ils voyaient cette créature qui frappe sa tête contre les murs, qui crie, fuis le regard, ne s’exprime pas, ne parle même pas.
Cette créature qui hurlait dès que je voulais entrer dans un magasin, ou sortir de chez moi, dès que je changeais notre routine.
Cette créature qui avait des gestes étranges et répétitifs, que l’on regardait dans la rue comme un fou, un déséquilibré.

Moi, je voyais l’innocence dans ton visage, la naïveté dans ton regard, et une grande intelligence.
Je voyais que tu étais pris au piège.
Pris au piège dans ton propre corps.
Je te regardais et m’interrogeais ‘que pense-t-il ?’ ‘Qu’aime-t-il ?’ ‘Le saurais-je un jour ?’
Nous étions si proches, et pourtant, j’en savais si peu de toi.
Ils ne voyaient que les cubes que tu ne pouvais empiler ou rentrer dans un trou, que le cube que tu voulais faire tenir sur le sommet d’une pyramide.
Moi, je voyais un être un peu maniaque et intelligent, persévérant. Qui cherchait, peut être comme moi, à accéder à ce qui est censé être impossible.
Défiant les lois de l’attraction, défiant le monde.
Moi, je le savais depuis le début que tu es spécial. Mais je suis passée pour une folle. Trop possessive, trop négative. Dans l’extrême.
Quand bien plus tard, ils verront ce que j’avais perçu, je deviendrais l’aveugle et la sourde.
Dans le déni.

Celle qui n’a pas vu, celle qui se voile la face. Celle qui ne veut pas entendre.
Je ne voulais pas entendre, c’est vrai.
Je ne voulais pas entendre que tu es fou. Presque jetable.
Bon à la poubelle, à la psychiatrie.
Incapable de rien, une pièce défectueuse, qui, puisqu’elle ne sert à rien, est bonne à sacrifier sur l’autel de la science.
Je suis sourde, je suis aveugle, je ne veux pas voir et pas savoir.
Je veux crier.
Je veux crier au meurtre, à la barbarie. Mais je suis emmurée. On a dressé des murs tellement hauts que je n’en vois pas le bout.

Parfois, je crois être perdue.
Quelque seconde.
Et si j’étais vraiment folle ? Et si, tous les deux, nous étions fous ?
Suis-je en train de te détruire en t’emportant dans ma folie ?

Les amis me regardent d’un œil qui trahit leurs mots de soutien dans mon idée.
Pour eux, je suis une folle. Une aveugle. Et ils préfèrent ne rien me dire pour ne pas que mes foudres s’abattent sur eux.
Mon entourage, c’est pareil. Pour eux : je dois écouter.
‘Je dois’
Je dois. À les entendre, toute ma vie devrait être un devoir
Bien écouter, bien étudier, bien me plier. Bien dire merci après chaque coup.
Je dois.
Mais on ne me doit rien. Je ne suis qu’une indigène. Rien que pour le fait d’exister déjà, je dois.

Parfois, je suis à bout.
Parfois, après une nuit sans dormir, après tes cris incessants, tes pleurs, tes gestes que je ne comprends pas, j’aimerais ne plus être.
Peut-être que je n’ai rien compris.
Rien compris à la vie.
Peut-être que j’ai tout faux.
Peut-être que je me suis lancée dans une aventure que je ne peux ni suivre, ni finir.
Un jour, j’ai craqué. Je voulais faire des courses, de simples courses.
Mais tu n’étais pas d’accord.
Alors je me suis assise par terre.
Et j’ai pleuré. J’ai supplié.
Pourquoi tu ne me comprends pas ? Pourquoi je ne te comprends pas ?
L’impuissance. Je n’avais aucun contrôle sur rien.
Peut-être par compassion, tu as cessé tes pleurs.
Je ne pleurerais plus jamais.
Sauf une fois.
Quand on me présentera ta future prison.
Une prison.
Une prison, parce que, tu ne sauras jamais lire, ni écrire, ni compter. Parce que de toute façon, tu ne peux pas. Tu en es incapable. Tu es une pièce défectueuse. Et j’en suis au fond, comme on me le dit à demis-mots, la responsable.

Cette prison, c’est pour les gens comme toi.
Je regarde ces êtres et je vois pourtant qu’ils sont totalement différents.
Ce n’est pas possible. Je suis dans un monde parallèle.
Je ne peux pas accepter ça.
Tout va vite dans ma tête, les idées se bousculent, se percutent, s’entrechoquent.
Tu finiras dans cette prison, tu ne sauras jamais penser par toi-même, ni lire ni écrire…
Jamais lire ni écrire… Mais moi, je suis sûre que tu peux, je sais que tu peux. Avec le peu de souffle qu’il me reste, je tente de prouver que je t’ai appris à lire en arabe.
On ne me croit pas.
C’est impossible et je suis folle.
Ça se bouscule encore : suis-je folle ? Ai-je imaginé ces scènes ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Je suis perdue
Je suis à bout de souffle. Je cours sans dire mot, j’ai besoin d’air. De hurler. De mourir.
Je sors de la prison et me colle à un mur, je pleure. Mes larmes, je ne les cache pas aux gens, je suis à nue.
Je suis nue et ça m’est égal.
Je veux juste que cela cesse.
Je rentrerais en titubant. Me répétant sans arrêt ‘je ne peux pas. Nous ne pouvons pas. Il ne peut pas. Non. Non…’
Ça ne peut pas être cela la fin de l’aventure. Ça ne peut pas se terminer ainsi.
Je ne peux pas. Je ne veux pas. Si j’accepte, je suis morte.
C’est un suicide. Un meurtre. Si j’accepte, ils me tuent.
Oui, je suis folle. Les plus fous sont les plus lucides.
Je prépare un sac, tes vêtements, tes livres.
Je prépare un sac, mes vêtements, mes pinceaux.
Le billet est pris, ma décision est prise : allons, ailleurs, vivre notre folie.
Allons vivre la folie chez les fous.

Tu ne te rends peut-être pas compte encore aujourd’hui, mais nous avons faillit être sacrifiés.
Nous avons échappé à la mort.
Tes murs sont tombés, et ton corps ne t’emprisonne plus.
Il était dur de pas idolâtrer chacun de tes gestes, chacun de tes mots après cela.
De ne pas t’idolâtrer.
Pour moi, c’était normal, je savais que tu étais capable.
Mais j’étais fière.
Tellement fière.
J’en arrivais à faire l’ignorante qui ne peut pas lire une recette afin de t’entendre me la lire. Je cachais mon sourire et faisais comme si de rien.
Comme si je ne savais pas que jamais j’aurais pu te voir lire si je les avaient laisser te mettre en prison.
Et toi, pudiquement, tu lis. Tu caches ce que tu sais, tu fais comme si tu n’avais pas remarqué que je fais semblant, juste pour t’entendre.

Je me réveille toujours avec ces mêmes question : suis-je folle ? Sommes-nous fous ? Vivons-nous vraiment ces moments ?
Suis-je arrivée au bout ?

Je ne sais pas.
Je ne sais pas, mais ce que je sais, et que je peux te garantir : eux aussi sont fous

 

By Fati

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2 Commentaires
  • celine duclos

    très émouvant. merci
    Ne jamais baisser les bras et les laisser enfermer nos enfants dans des cases… sous prétexte qu’ils ne sont pas comme les autres. Et bien non ils se sont pas comme les autres et alors doit on pour cela ne pas chercher à leur apprendre, à les guider autrement ?
    chacun à ses propres ressources il faut seulement les laisser s’exprimer différemment et la chenille devient papillon pas de la même façon que les autres mais papillon quand même…

  • Nadia

    Bouleversant, touchant. Bravo à cette maman qui a su prendre les bonnes décisions envers et contre tout.

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